Moto Tour 2007, Team Motorhino.com, Bernard Bracam
Toulon, samedi 6 octobre, fin d’après-midi : Francesco Scuderi est installé à la table du team Motorhino, sous le chapiteau qui jouxte notre hôtel motorisé, dans le paddock du Moto-Tour, plage du Mourillon. Il me questionne d’une voix douce et précise, avec une bienveillance qui m’étonne : je ne peux ignorer le respectable appareil de photo dont il est nanti, et son nom, à bien y réfléchir, me rappelle de lointains souvenirs de l’époque où la presse moto me servait de nourriture spirituelle. Il m’explique comment « dans le temps », le chroniqueur s’interdisait l’usage du « je » ou du « on » ; je crois comprendre que l’objectivité est une matière souple et transformable à merci, que le souvenir du passé rend souvent meilleure. J’ai beau tenter de faire taire mes préjugés, je me demande pourquoi ce personnage, sicilien me dit-il, n’affiche pas une gueule patibulaire de mafiosi à la barbe de trois jours. Pas de doute non plus, il pose beaucoup de questions, pour un simple photographe : il doit finalement bien disposer de quelque talent de gazetier, c’t’homme-là. Après tout, à la bonne heure si rien ne semble être à la place que je crois devoir être la sienne : ne suis-je point rendu à Toulon ce soir, moi qui me flagelle tous les soirs pour appartenir à la race supérieure du motard au grain auto proclamée, mais ne bouge que sur ordre supérieur ? Manière de faire du paradoxe une loi d’équivalence entre l’impossible et le très ordinaire. Et Francesco plonge sa sonde dans le mystère Motorhino : il nous presse de questions ; il tente de faire coller l’image qu’il échafaude de cette communauté qui rigole fort et semble faire de l’outrance sa vérité avec un portrait plausible et soluble dans le paysage motard. Il brosse à tâtons le trait des ombres et lumières qu’il perçoit à notre contact, – en somme, je crois que vous êtes un peu fous, professe-t-il - . Et je me demande alors s’il dit vrai, ou si nos dénégations ne témoignent pas d’une réalité bien plus élémentaire : tout sauf chimérique, elle nous réunit simplement grâce aux moyens de communication les plus virtuels du moment, chacun avec son besoin de communiquer, de partager une aventure peu commune, nourris de nos excès, de nos singularités, de nos amours et de nos espoirs. Pour le meilleur souvent, avec la simple envie de ne pas ressembler à d’ordinaires consommateurs ; l’envie naturelle de vivre, de protester peut-être contre ce qui nous apparaît comme l’insupportable sottise du temps ? Donc, devant la folle diversité du monde, rien qui vraiment ne justifie de grande stupeur…
L’air méditerranéen est si doux sur la côte que je me demande s’il était bien raisonnable de « monter » vendredi 28 jusqu’à Reims, pour me retrouver encabané dans la couchette d’une autocaravane qui sur le moment prend pour moi les allures d’un cercueil. Nous sommes alors à l’avant veille du départ du Moto Tour, en plein centre de la Ville des Sacres, et c’est une manière d’abîme moderne qui sert de cadre à notre campement : le paddock est enserré par deux des boulevards les plus fréquentés de la cité rémoise, et ce ne sont pas les allées d’arbres des Basses Promenades que Foch et Roederer asphyxient qui nous protègent des rugissements de la circulation. On a beau dire que les voitures hippomobiles du temps jadis faisaient un bruit d’enfer, cette évocation me semble bien douce, à l’heure où le pilote lambda cherche un peu de repos avant sa première journée de compétition… Et puis souviendre-toi, y’avait rugby samedi soir ! Je ne te dis pas les concerts d’avertisseurs à minuit, ni ma joie de retrouver les fanfares de trompes à quatre tons de ma jeunesse…
Revenons au début de l’aventure : j’ai beau me proclamer « motard au grain » pour me faire accepter dans un milieu un peu rustre et primaire (Kruel, si tu me regardes, formidable, les transmissions du même nom de ton armada anglaise), tout n’étant qu’illusion dans mon existence, je ne me sens pas en grande confiance avec ce plan de dernière minute du mois de mai 2007. Le Team Motorhino a de longue date engagé trois pilotes, kantoutakou, mois de mai féskiteplé, le troisième déclare forfait vertébral, le pauvre. Et moi qui ne peux supporter l’idée du lendemain, me voici à songer, à l’instigation de Kruel, à l’opportunité exceptionnelle de sortir de ma chambre, dis-donc. Et voici encore NDJ qui apporte son eau au moulin, en me proposant sa Fazer 600 de compète quasi jamais tombée, heureux présage. Même qu’il me la prête sans autre obligation que de l’adapter à ma morphologie, de bien l’abreuver et de la chausser aussi. C’est encore Hugo qui me promet un soutien moral auquel son épopée du Tour 2006 en Laverda donne un cachet particulier (ouais, c’est le métier, petit). Bande de rats, peut-être eussiez-vous voulu que je ne prisse point la seule décision qui s’imposait, à savoir accepter cette folle opportunité ? Le défi très amical que vous m’offriez, tout tremblants (ah mais, je vous ai vus), je ne pouvais pas le refuser.
Eté 2007, voici venu le temps de la confrontation avec la réalité. Kick et Toto seront mes guides dans le dur apprentissage du monde du rallye routier, qui débute par quelques reconnaissances de spéciales. Chut, il ne faut pas le dire, c’est très vilain de reconnaître, et c’est mortel parfois. Faut-il considérer qu’il existerait une hiérarchie des morts à moto, celui du dimanche ne méritant pas d’autre considération que celle de l’appareil répressif ? Il semble qu’il soit impossible de tenir secrets les parcours desdites spéciales que nous entendons apprendre sur le bout des gommes, au grand dam des riverains qui se passeraient certainement des rugissements de compétiteurs fort burnés enfilant les virages comme Loana des perles. Par conséquent, aucune interdiction ne serait applicable.
Je dois évidemment en passer tout d’abord par une initiation compromettante avec les cadors du Team, par la pratique de la virile cohabitation rapprochée en gîte, sur les lieux de nos forfaits à venir. C’est aussi l’occasion de goûter aux joies du contact avec l’autochtone : notre logeuse près de Croix va me prendre successivement pour un ange (lorsque je prends possession de notre chambre), puis pour une ordure quelques heures plus tard, parce que je n’ai plus des conventions sociales ni de la correction une vision assez éclairée, semble-t-il.
Recos donc à Croix-en-Ternois, où je goûte aux joies du raclage de repose-pied sans même faire péter le chrono. Toto le béquillard approuve mollement du bord du circuit, pendant que Kick me remonte le moral en me harcelant : « tu ne viens quand même pas pour gagner, rassure-moi ? ». Le dimanche, il pleut. Heureuse nouvelle, à laquelle j’oppose une joie de composition destinée à rogner les ailes du chef de bande, sans qui les discussions ne seraient qu’un long fleuve tranquille. Orival sous la pluie, ce n’est que du bonheur, je l’affirme. Parce que je me rends compte du privilège qui est le mien de suivre la roue de Kick, qui m’ouvre la voie et décuple mes moyens. L’angoisse sourde du début cède la place à une forme d’allégresse (contenue) : là où tu passes, qui sait si je ne passerai pas aussi ? La route ascendante et relativement étroite débute par des successions d’enfilades (ici, il ne faudra pas couper…) et de virages parfois très fermés ; le revêtement est bon, l’environnement sylvestre fort verdoyant, les courbes bien prévisibles entre les arbres. Et là, au milieu de la spéciale, changement radical à angle droit, on plonge dans un étroit chemin forestier descendant qui tabasse, des branches basses nous fouettent la visière ; cassures brutales à quatre vingt dix degrés, passages sous d’antiques ponts de chemin de fer, champs de mousse au centre de la voie, gravillon, trous et bosses se liguent pour nous jeter hors de la traj’ ; sorte d’expérience nouvelle et excitante. Belbeuf encore, où je note la présence d’un chapeau de roue oublié sur un muret : bon repère de freinage, ça !
Deux semaines plus tard, nous abordons Mont Dore. Tiens, voilà une spéciale qui va intéresser les pistards : cette route de montagne est un véritable circuit, les dégagements en moins. Il faut aimer les glissières, que mon cerveau débranché ne prend pas en compte. Toto revient aux affaires au guidon de sa GSXR, et il s’exerce aux départs arrêtés derrière moi. Immanquablement, je le vois pointer dans mes rétros au premier tiers de la montée, puis s’échapper irrémédiablement. Tout ça sent la poudre ! Aigrefeuille, que nous gagnons ensuite, concrétise particulièrement bien les attentes du rallye man, à en croire mes camarades. De fait, cette route étroite et sinueuse, très accrocheuse, exige un gros cœur, une faculté d’anticipation et même d’improvisation parfois, une grande capacité de mémorisation dont, je m’en rends compte, je ne dispose pas du tout. Qu’importe, je suis venu pour rouler, et mes compagnons tempèrent ma déception due à mon impression que je ne progresse pas par quelque propos apaisants...
Quelques semaines plus tard, je m’essaierai seul à l’apprentissage de Puget et de Pourrières, avec la très bienveillante et généreuse contribution de Philippe, d’Audemar à Toulon ; qu’il en soit infiniment remercié, ainsi que la Bouillotte. Je retiendrai surtout de cette première expérience des impressions visuelles, les images contextuelles de ces spéciales. Difficile dans ces conditions de savoir quel bénéfice ces reconnaissances m’ont apporté. Faut-il vraiment tenter de les interdire à l’avenir ? Je suis prêt à croire les arguments de ceux qui souhaitent une telle mesure, afin que chacun soit placé sur pied d’égalité. Parce qu’également, ce serait une manière de valoriser les compétences des pratiquants de rallye face aux pistards, eux qui jouent à domicile sur les circuits du Moto Tour. Enfin, on peut se demander s’il est acceptable de faire subir aux riverains la pollution de nos séances exploratoires, les routes fussent-elles du domaine public.
Reims vendredi après-midi 29 septembre : le team est enfin réuni, disposant d’un hôtel automobile et d’un fourgon d’assistance prêté par City Bike à Laval ; après les travaux préparatoires, l’épreuve du feu va débuter. Didier, de City, sera notre mécanicien ; c’est lui qui a préparé la Fazer, assisté de NDJ, énorme travail de remise en forme pour cette habituée des rallyes qui va entamer son 2ème Moto Tour, et c’est lui qui en peaufine à ma demande la position de conduite. NDJ est notre team manager ; il conduit le camping car, et veille à notre confort et notre sécurité. Kick et Toto sont le fer de lance de l’équipe, forts de leur expérience du rallye routier, et nous braillons en cœur lors des dernières séances d’endurcissement : « Awashier again » ! Tu ne crois pas si bien dire, Paul. C’est bizarre, ce besoin qu’on les motards de faire des phrases si lapidaires qu’on les dirait tirées d’une encyclopédie d’onomatopées…
Reims toujours, passage obligé par le contrôle technique ; on en voit de bien bonnes, comme cette Tromph Speed Triple qui rentre au box cul pincé se refaire une virginité légale : c’est que cent seize chevaux à la roue arrière, ça vous a comme un petit air de supercherie ; sourires en coin dans le public, partagé entre l’admiration et la raillerie. Il y a dans ce paddock un matos pas croyable, florilège de la production motocycliste, et le kéké consomotard compulsif autant que l’amoureux de belles bécanes authentiques y trouve son bonheur. Fatche, la Fazer Motorhino en jette tout autant, parole ! C’est l’occasion de se convaincre aussi que tout le monde ne court pas dans la même catégorie. Rouler sur une enclume à moteur de fonte peut te propulser dans un monde de rêve fait de semi-remorque aménagé en palais impérial habité par un personnel avisé, serviable et confondant de jeune beauté. Et dire qu’il y en a pour aimer vivre à la dure une expérience humaine unique, virile et renversante, dans la sueur, les cris et les larmes ! Heureusement que le médecin de course se veut rassurant lors de la visite obligatoire : il nous explique l’usage du numéro d’urgence que nous avons dû coller sur la moto, une claque sur les fesses, et roule ma poule !
Dimanche : je vais tous les pourrir, semblent ricaner les habitués du rallye, juchés sur leurs brêles de concours. Pour mon compte, une fois reçus les prémices de l’enseignement de base, c’est récupération de la moto au parc fermé (MOTEUR COUPE, beugle un préposé), et voici venir le premier acte qui débute par la confrontation avec les subtilités du départ à heure fixe : son carton de pointage, son temps de parcours imprescriptible, son affichage du temps galactique siglé Dark Dog (gloire) affiché en chiffres rouge sang, tel sera ce jour de mise en jambes. Or, si pour certains, le Tour semble devoir s’arrêter sur chute au dernier rond-point précédant le circuit de Carole, j’y parviens pour ma part sans encombre, tétanisé néanmoins par le défi de la navigation que je découvre. Toto lui va mettre à rude épreuve les nerfs fragiles de notre grand team manager (grand par l’abnégation et l’engagement, entre autre) et solliciter l’intégralité des talents de notre mécano Didier, qui parvient à rétablir une moto prête pour le combat en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, après une figure improvisée qui laisse la Suzuki pour morte à première vue, à cinquante mètres de l’entrée de Carole. Je découvre le circuit, et ma tension est à son comble sur la grille de départ. Je ne sais pas trop comment sont constituées les séries, mais chacun improvise à son niveau, et je m’exerce à rester sur mes roues, dans une attitude crispée peu propice à la performance. Poliment, je cède le passage à mes compagnons de session, m’efforçant de valoriser les règles de la bienséance plutôt celles de la compétition. Je m’applique à prendre mes virages bien au milieu de la piste, avec un manque de prévoyance à rendre suicidaires une escouade d’écureuils. Les trajectoires s’entrecroisent, l’art est difficile, il faudrait revenir… Mon tourment s’achève sans gloire, sans accroc non plus. Vaincre sans péril n’est-il pas mon plus grand acte de bravoure de ce premier jour ? Et puis je retrouve avec joie Klink, qui aujourd’hui nous fait l’honneur et l’amitié de sa présence rare (« je sens que ça viendre, dans dix ans je lève le pied » – mais si on te croit enterre noix). Et puis tant qu’à faire, puisque nous croisons tout à l’heure en Champagne, un petit tour dans le vignoble vous ferait-il plaisir avant de rentrer ? J’aborde la première spéciale routière de la compétition la tête dans les pieds, de vignes, celles de Jonchery. Quelle impression déroutante que de franchir le panneau « route fermée », à l’invitation du policier en faction ; de doubler nombre de motards à pied, parmi lesquels je crois me reconnaître, mais aujourd’hui, je suis païlote… De cette première pressée, je garde le souvenir d’un millésime qui aurait gagné à murir un peu encore. Et de la confiance qui s’installe insidieusement dans la première partie de l’ascension, large et bien lisible, trahie par l’apparition soudaine d’un gauche serré. Mouais, ça passe mais c’est pas facile, hein ? La découverte qui me perturbe du public, les appareils de photo qui crépitent : je crois bien que j’aimerais qu’ils détournent le regard pudiquement.
Lundi. Solitude : le problème, dans notre petite équipe, c’est que les pilotes de pointe abandonnent la base relativement tôt ; l’amateur que je suis par contre, quitte Reims pour trois cents kilomètres de route à l’heure où le team a pris le large depuis longtemps, et je patiente seul au milieu des rugissements anonymes. Ce n’est pas très facile. Navigation : par exemple, il ne s’agit tout d’abord que de sortir de la ville, manière subtile et félonne de (re)découvrir l’usage du dérouleur de road book entre-aperçu dimanche. Ce méchant boitier est pourtant motorisé par la fée électricité, mais je dois concéder que ce n’est pas lui qui par magie va me rendre à bon port. Va falloir réfléchir, vite et bien, je m’en sens incapable, ça bloque. Je commence par prendre à gauche au premier feu, comme hier : première sottise, et un tour de carrousel pour ma peine. Premier grand rond-point, deuxième erreur. Le compteur de VTT se met à additionner mes divagations, que le ruban de papier s’obstine à ignorer. Lui m’assure que je dois suivre la direction de Bruxelles, mais ma pauvre caboche n’en démord pas : ce Moto Tour doit rester français, on me l’a assuré, je refuse de passer la frontière belge ! Je jardine en ville, sans plaisir on peut le dire, j’ai comme un goût de fer dans la bouche. Heureusement, une fois extrait du piège débute l’enchantement de la découverte des petits patelins : imagine Villers-Franqueux, Sotteville, Coucy-le-Château, Mareuil-la-Motte, Catillon-Fumechon, Crèvecoeur-le-Grand, Freneuse, essence… euh nan, pas essence.
Mais… Base Chrono ! Alors là, j’annonce « archétype du sport de très haut niveau » ! Tu en as rêvé, DDMT l’a fait. Objet culte pour tout pilote de niveau mondial, la Base Chrono kaisse ? Il s’agit d’une spéciale, et tu ne le savais pas ! Pilote troupier, te voilà investi de la mission suprême, dont tu partageras la gloire immémoriale avec les plus grands champions que la terre betteravière ait nourris : associer ton blase rural à l’élite noble du sport motocycliste. Avatar ectoplasmique de l’esprit fontanesque ou discrimination sportive positive à la sauce FFM ou FIM, cet emblématique ravissement motard ? En tout état de cause, il bâtit son formidable rayonnement sur des principes simples. Sur un chemin malaisé, boueux aujourd’hui (mais il peut être pierreux et noyé dans l’obscurité en d’autres circonstances), tu décolles sans en connaître ni le profil, ni la longueur, le jour ni l’heure, prophétiserait l’Eglise. Tu devras y respecter parfaitement un déplacement translationnel rectiligno-courbatoire ascensionnel parfois descendant, à la vitesse horaire moyenne de soixante kilomètre heures. Toute infraction à la loi sera poursuivie de pénalités décomptées en secondes. Tu auras le choix entre tutoyer l’excellence, et dans ce cas seulement tu ne seras pas sanctionné par le Très Grand Organisateur Sportif, ou tu périras sous le poids des pénalités. D’autre part, les fesses tu serreras : il se peut que des trax, des grues, des rouleaux compresseurs, des moissonneuses batteuses, des camionnettes de livraisons, des tandems, des déambulateurs, des alambics automobiles te doublent en côte. Tu leur devras priorité et déférence absolue : n’oublie jamais que tu n’es qu’un misérable vermisseau motocycliste redevable de secondes surnuméraires ou corrompues. Et si un angle droit boueux interrompt fortuitement ta pitoyable course rectiligne, n’oublie jamais de redonner un coup de gaz pour dulcifier la divine sanction que tu vas prendre dans le groin, si tu ne t’es pas fraisé le museau. Certains l’aiment sotte, et s’y appliquent avec tant de bonne volonté qu’ils terminent à zéro secondes du temps régalien. A zéro… faut-il y voir un signe ? En tout cas, notre deuxième meilleur pilote, qui roule en Ducati, excelle dans cette discipline, au point qu’il égalera Nucques lui-même dans l’une de ces épreuves. Gruïïïk !
Qui a dit « plus intéressante », s’agissant de la deuxième spéciale, celle d’Orival ? Terrain sec aujourd’hui, il va falloir mettre du gaz. Kick l’a bien dit, « ici faudra pas couper, puis là non plus… » Mais de quoi parle-t-il lui ? Je suis certes en terrain de connaissance, j’identifie bien l’environnement. Mais il y a eu tout à l’heure ce contrôle horaire, que j’ai passé sans pénalité (quel eSSploit, non ?), et maintenant, je poirote en queue de file dans l’attente du départ de la spéciale. Première constatation, qui se vérifiera d’un bout à l’autre de la France : la route au départ de la spéciale penche à gauche : c’est un grand principe du rallye routier ayant pour but de confirmer la solidité des béquilles des bécanes engagées. Ensuite, tu pousses la moto mètre par mètre, sans concéder de place à ceux qui mettront encore quelques jours à admettre l’idée de respecter l’ordre d’attente. Le départ de spéciale, c’est rigolo. Insoutenable, le nombre de grands pilotes qui montent le régime moteur au trois quarts, comme on leur a appris à le faire dans les cours de païlote de compaite. Manifestement, ça ne fait pas tout, au vu des résultats que je peux admirer de mon poste d’attente. De là à donner des leçons de départ arrêté, je n’y songe guère, mais je suis pourtant un peu rassuré : je parviens à contenir ma tension bien mieux que je ne le craignais. Bénéfice probable d’une forme de fatalisme, qui me souffle : advienne que pourra. En définitive, Orival se solde par un résultat convenable.
L’arrivée à Val-de-Reuil me fait comprendre que chaque étape sera bien différente de la précédente : le paddock est ici réparti dans le dédale des rues qui distribuent la cité, totalement éclaté. Nous somme vraiment invités au cœur même des immeubles, chez l’habitant, et l’atmosphère est étrange, teintée de craintes mal refreinées, de rencontres surprenante pour qui comme moi ignore tant la réalité du monde. Didier, bien mal abrité par une passerelle qui laisse filtrer une pluie fine et sournoise, pratique de banales opérations de maintenance de la Fazer, dont tout naturellement, plus simplement que je ne dégoupille une canette d’Orangina (j’aime être secoué moi), le changement de l’embrayage que soixante mille kilomètre de païlotage incisif du NDJ ont un peu laminé. Et moi qui n’ai qu’à tourner la poignée de gaz, en vrai pilote d’usine, j’ai l’esprit couleur du temps, tourmenté par la perspective de l’inconfort qui semble devoir s’installer à jamais. C’est alors que le ciel devenu de plomb décide de nous tomber sur la tête, déversant des cataractes de flotte sur le campement. C’est le sauve-qui-peut, nous nous retranchons dans le cocon de l’autocaravane, qui se mue en havre de paix et de félicité intime. Moi qui ai cru pouvoir emmener la moto au parc fermé vêtu d’un simple imper, je me retrouve trempé jusqu’à l’os en revenant à pied. Ce qui frappe par contre, une fois la pluie calmée, c’est le vrai silence qui accompagne la nuit, utile réconfort alors que la fatigue commence à prendre sa vraie dimension.
Mardi, sa boucle de quatre cent dix kilomètres, son circuit à Croix en Ternois et sa spéciale de Belbeuf… Le ciel est menaçant, le départ de Val-de-Reuil relativement matinal. Manifestement, si le mouillé, c’est dans la tête (dans ton slip, disent les fins commentateurs du Rhino), il en va tout autrement de la buée qui elle s’obstine à empêcher toute vision de la route et me contraint à rouler visière ouverte. Admettons-le, il ne pleut pas ; enfin pas vraiment, l’optimisme me faisant recevoir cette bruine qui remplace les déluges d’hier soir avec reconnaissance. A part un gros lot de liaisons ennuyeuses à mourir sur des rectilignes que nous subirons trop souvent dans le Nord, nous nous retrouvons très vite engagés dans un véritable festival de vicinales noyées sous une boue tenace, collante, vivrière, qui crépit à grande vitesse les motos. Nos montures ressemblent sans tarder à de vraies bouses ambulantes, emportant largement le volume de terre suffisant pour cultiver une bonne are des champ de betteraves qui nous encerclent. Je ne trouve pas que la moto glisse véritablement, la boue c’est dans ton slip, disent les exégètes de Gana : on s’habitue, c’est tout. Et puis l’occasion est trop belle de rendre hommage à Vieux-Rouen-sur-Besle, Frettecuisse ou Yaucourt-Bussus. Qui me guident sans coup férir à Croix en Ternois, mais j’ai quand même l’impression que le gentil organisateur de ce Moto Tour prend un certain plaisir à nous balader ; ce n’est pas pour dire, mais si rien ne ressemble plus à une cour de ferme qu’une autre basse-cour, si un Massey Fergusson en vaut bien un autre, certaines similitudes visuelles deviennent troublantes même dans mon esprit déjà bien attaqué…
Alors Croix ? Si Toto et Kick s’y disputent avec panache le podium de leur série, je ne suis que dans la moyenne, et pas vraiment enchanté de mes œuvres. Cependant, c’est un circuit que je trouve intéressant : de prime abord, son tracé semble quelconque, il est en fait varié, présentant de belles épingles mais aussi un double gauche très ouvert que j’aimerais oser passer plein angle sans couper, genou par terre. Malgré qu’il ne me soit pas inconnu, je ne me sens pas la liberté d’embrasser le bitume, comme certains infortunés en feront l’expérience ce jour. En attendant de pouvoir rejoindre le parc assistance (qu’il est difficile à quitter, ce goulet de sortie), je me régale à la vue des sides qui à cet instant précis emmanchent le double gauche, pour se jeter tout dehors dans l’épingle de raccordement à la ligne droite du circuit. La suite du programme est harassant, la spéciale de Belbeuf semblant s’éloigner à mesure que le temps se dégrade. L’espoir subsiste pourtant de la parcourir sur le sec, mais je dois déchanter. Je fais la montée sur le gras-mouillé, visant la trajectoire dans le sillon ouvert par endroit dans de véritables lits de feuilles par les concurrents précédents. Médiocre consolation d’un temps moyen, et retour in extremis à Val-de-Reuil, après avoir tenté en vain de ravitailler. Mais la joie de voir Didier officiant au bidon d’essence le soir à l’assistance enchantera souvent mon esprit durant ce périple ! Inexplicablement, le team acceptera de m’accorder cette forme délicate de passe droit, en raison sans doute de ma nationalité exotique et du désamour des automates pour mon argent plastoc.
Mercredi, pas loin de quatre cent soixante kilomètres à parcourir, qui nous mèneront de Val-de-Reuil à Nevers Magny Cours ! Bigre, la route passe par Bérou-la-Mulotière, Fessanvilliers, Unverre (ça va), Neuvy-deux-Clochers, mais je ne parviens plus à rassembler les images de cette croisière… L’aventure exaltée par certains prend pour moi le tour d’un marathon éreintant, avec un côté halluciné, perte de mémoire, ivresse de surface et mélange géographique précurseur de démence légère. Pas bô la moto, boueuse, nigaud le motard, terreux. Me revient le souvenir de ces petits matins blafards, au cœur desquels surgit au hasard d’une ligne droite en forêt le Contrôle de Passage, et ses deux assignés transis ; je m’arrête auprès d’eux, et je leur assure amicalement que je suis le messager du soleil, que je viens de le rencontrer cinquante kilomètres auparavant, et qu’il ne devrait plus tarder. Ils se plaignent un peu, convaincus que 2006 leur fut plus favorable. Je reprends ma course avec le sentiment du devoir accompli, la conviction d’être né bon et d’avoir grandi, le cœur ragaillardi par la certitude que ma condition de coursier de troisième catégorie est en tout point préférable à celle du cerbère veillant sur la rigueur de mes chemins de traverse. En vrai, j’aime les rencontrer, leur présence devient vite connivence, et ce petit échange matutinal précieux au cours de ma longue route. Peut-être est-ce également à partir de ces régions que je découvre avec une réelle émotion ces enfants et ces habitants de tous âges des villages de rencontre, qui nous adressent des signes amicaux. Alors les recommandations pressantes de l’organisateur prennent tout leur sens, lorsqu’il exige que nous participants respections rigoureusement les limitations en localité. Qu’il est facile de s’y conformer lorsque nous ne sommes pas pris pour de dangereux délinquants…
Nevers, circuit école : je l’aperçois sur la droite en arrivant à proximité du circuit de Magny Cours ; il s’agit d’un tracé à options multiples, que nous allons emprunter à l’envers paraît-il, pour un tour unique et en solo. Subtil exercice d’équilibre semble-t-il, puisque tout se déroule à vue, c’est une image, et qu’il n’y a pas de séance de rattrapage ! Sans la pression de la meute, je vais bien m’amuser, un deuxième tour de manège m’aurait fait plaisir. Je rejoins le team qui a établi ses quartiers dans l’enceinte de l’impressionnant complexe du circuit de Magny Cours. Séquence décrottage de la moto ; Didier cherche par tous les moyens à s’affranchir de la tâche, qu’il a effectuée pour les motos de mes camarades. Tout y passe en matière d’arguments foireux, depuis la faiblesse des bougies de grand-mère Fazer jusqu’à la préservation de la planète (moto) et les risques supputés d’averse sur le Nord de la Belgique fin octobre, qui réduirait ses efforts à néant. Ben quoi, il ne me plaît plus, mon tas de boue ambulant ? Le temps pourtant est plus clément ; froid, tempétueux mais porteur d’espoir. Ce qui vaut mieux quand on songe à la séance circuit de nuit programmée ce soir ! Bref, Didier cède à mon caprice, et se met en devoir d’inonder conjointement le stand Pirelli situé juste en contrebas de notre campement ; et comme rien ne remplace la propreté et la déférence suisse, tel un Moïse d’opérette, je balaie frénétiquement l’eau qui dévale le goudron en dessous de la Fazer, pour écarter les flots et éviter de justesse une guerre franco-italienne.
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